Je n’avais jusque là réagi que peu sur « l’affaire Dieudonné », sur Twitter quelques peu, en discutant avec des proches aussi, et il y avait une bonne raison à mon mutisme : lui faire quelque forme de publicité est pour moi une connerie monumentale. Mais voilà la connerie a été faite par tous ou presque et je n’en peux plus de fermer ma gueule devant ce dégoulinement de mauvaise foi de tous les côtés.
Alors brièvement mon point de vue : Dieudonné a un réel problème d’antisémitisme, certains de ceux qui le combattent le font d’une façon détestable.
Dieudonné M’Bala M’Bala
… ne m’a jamais fait rire, même à l’époque où il était considéré comme un génie du genre, c’est juste pas mon genre. M’enfin il se vend encore des places pour les spectacles de Laurent Gerra donc tous les humoristes ont leur public. Et le problème est justement là : certains, la majorité probablement, de ceux qui veulent le voir en spectacle ne sont pas antisémites eux-même. Les condamner ainsi comme un tout est faire une généralité grave.
Ses spectacles ne sont pas des « meetings de la haine » comme j’ai pu le lire ou l’entendre, ce sont des spectacles avec beaucoup d’humour et des incartades racistes. Une blague doit être prise dans son contexte et là le contexte des déclarations en question est celui d’un spectacle où la majorité du public est venue pour rire.
Sauf que certains ne sont pas là pour ça, et c’est là qu’est le problème. L’ambiguïté entretenue par Dieudonné en dehors de ses spectacles, de par ses relations amicales avec des personnes ouvertement xenophobes, de par la présentation de sa « liste antisioniste » et toutes les déclarations en ce sens font qu’une partie de son public et de l’opinion publique voit en lui plus qu’un humoriste. Lui-même semble hésiter parfois (jamais devant un tribunal par contre) entre les deux casquettes et leurs « avantages » respectifs…
D’autres humoristes, beaucoup plus clairs sur le fait qu’ils ne sont là que pour faire de l’humour, se permettent des blagues bien plus crades que Dieudonné, y compris sur les religions, y compris sur la religion juive. Et vous voulez que je vous dise ? Bah j’adore ça, ça me fait rire ! Dieudonné toujours pas…
Et puis il y a cette position de martyr, idéale par rapport au message prétendument anti-système qui est le sien, qui fait que chaque fois que l’on s’en prend à lui on lui donne un peu plus raison : il est le mal-aimé, l’incompris, la victime d’un système tout puissant qui l’oppresse et le pousse au repli sur lui-même…
Mais bonhomme, tu l’as creusée tout seul ta tombe !
Et c’est là pour moi que Dieudonné est parti en couille et ne méritait rien de plus que l’indifférence (jusqu’au 9 janvier 2014 mais j’y reviens) et les condamnations dont il fait l’objet : le jour où il a compris qu’il avait plus offensé que fait rire et qu’il a décidé de s’entêter d’une part, mais surtout de cultiver cette image qui est la sienne aujourd’hui. Peu importe ce qu’il pense réellement aujourd’hui, ce qui reste est ce qu’il a voulu être son image publique, les dommages qu’il a causés.
Quant à la « quenelle » si elle n’est pas un geste nazi elle pose un souci tout autre : en se documentant plus de 5mn (cherchez l’interview de Soral chez BFMTV dans sa version intégrale de 38mn) on découvre qu’il existe 2 « maîtres quenelliers » : Dieudonné et Alain Soral. Si le premier est ambiguë, le second donne une définition beaucoup plus honnête du geste : c’est un geste anti-système oui, mais pour lui le système c’est les « juifs organisés » (comprendre les juifs qui ont un boulot). Et là il y a un problème en soi, pas besoin de tergiverser 107 ans autour du salut nazi inversé, ce geste et ce qu’il représente daubent et c’est tout.
Là encore, certains fans mal informés font ce geste sans en comprendre la portée, de la nuance bordel !
Et les condamnations étaient là, les amendes décrétées, il suffisait de continuer à le condamner pour ses propos illégaux (prononcés comme tels par un juge) et faire en sorte que lesdites condamnations soient respectées (parce que jusque là ça s’est pas agité des masses de ce côté là) jusqu’à ce que sa fanbase s’épuise, comprenne d’elle-même qu’il y a un problème.
Réduire le racisme, l’antisémitisme, aurait réduit d’autant les gens capables de le suivre en conscience du fait qu’il y a plus que l’humour derrière cet homme. JM Le Pen pourrait sortir le meilleur one man show du siècle que j’y foutrai pas les pieds, par principe…
Manuel Valls
Le calendrier politique étant ce qu’il est (pour ceux qui n’auraient pas remarqué, ça tombe vachement bien cette victoire de Valls à l’approche des municipales) l’histoire ne pouvait pas traîner comme elle le faisait et la justice fonctionne beaucoup trop lentement pour que le scandale prenne à point nommé avec cette échéance qui approche.
Alors dans un style que l’on n’avait pas vu depuis Sarkozy Ier, monsieur Valls a enfourché son cheval blanc et bafoué tout ça comme un sauvage pour obtenir une condamnation qui n’aura qu’un effet « positif » : foutre Dieudonné dans une merde financière noire (encore que ça se discute puisque l’on ne sait pas quelle part de ses revenus est dégagée de ses spectacles vivants).
Pour lui la victoire est celle « de la république » en ce sens qu’aujourd’hui tout le monde considère Dieudonné comme antisémite… Permettez moi, après avoir parcouru les réseaux sociaux ou sites de fans, d’en douter. Pire mon petit Manuel tu apportes une pierre à son édifice en caricaturant le problème (réel) et en lui apportant une réponse de sauvage inédite.
Pire certains fans venus pour l’humour commencent à se dire « merde il a raison Dieudo », la position de martyr a bien aidé sur ce coup là, et tu le savais pertinemment !
Certains ont argumenté qu’il ne s’agit pas d’une censure a priori mais d’une décision basée sur un spectacle écrit, joué et condamné auparavant. Sauf erreur de ma part, le spectacle en question n’a fait l’objet d’aucune condamnation. L’homme qui l’a écrit et l’interprète oui mais pas le spectacle en lui-même.
Ce qui veut dire qu’il s’agit bien là d’une censure a priori, et quel que soit l’avis que l’on a sur Dieudonné (et encore une fois personnellement cette personne me dérange) c’est glisser vers quelque chose de dangereux. Accessoirement la procédure express en référé, appel, conseil d’État en une demi-journée est elle aussi hallucinante (et donne aussi du grain à moudre à l’incriminé).
Tout cela fait que l’on est loin d’une « victoire de la république », on est même très loin d’une victoire de qui que ce soit. Tu viens de commettre une atteinte atroce à la liberté d’expression (ceci dit Dieudonné n’est pas le dernier à utiliser les avocats pour faire censurer des propos non plus, allez voir chez JC Elfassi par exemple) qui aura pour seul effet de rendre plus populaire la personne que tu cherchais à faire taire.
Et à titre personnel Manuel je t’en veux de me faire prendre la défense de quelqu’un que j’en arrive à mépriser…
A la sortie de ce bordel…
Si effectivement une forme de conscience s’est éveillée ce n’est pas, à mon humble avis, la bonne. Il suffit pour juger de cela de regarder aujourd’hui les critiques du sketch de Nicolas Bedos en date du 11 janvier qui souvent sont de l’ordre de la comparaison avec Dieudonné, certains faisant le parrallèle entre les deux, alors qu’il n’y a rien à voir entre les deux hommes (là encore sans aucun avis sur le comique des deux).
Il fallait réagir aux discours de Dieudonné; mais comme toujours il y a une chose à faire et une façon de le faire. La façon employée a été détestable et donne finalement plus d’avantages à Dieudonné qu’elle ne le condamne : elle lui a fait une publicité (il n’y a pas de mauvaise publicité) internationale, le conforte dans sa position de martyr « du système » et rend ses fans hardcore plus fidèles encore (et en particulier ceux qui justement sont là moins pour l’humour que pour le « message »).
Un autre angle, que je n’ai pas vu abordé dans la presse, me paraît assez triste : j’ai peur qu’à compter d’aujourd’hui les humoristes vont être jugés sur leur humour oui, mais aussi sur leur capacité à créer la polémique et qu’à ce petit jeu l’humour va devenir un fait intime, dont on ne parle qu’aux gens qui nous connaissent de peur d’être taxé de détester telle ou telle catégorie de personnes visées par ledit sketch. Je me souviens d’un excellent sketch d’une personne que je ne nommerai pas sur les trisomiques, dire que j’ai adoré ce sketch veut-il dire que je déteste les trisomiques ? que lui les déteste ?
Et puis arrive l’Internet, cette foutue zone de non-droit, qu’il va falloir mettre au pas (certains disaient civiliser) parce que ces messages de haine sont insupportables. Bah oui mais la haine existe, c’est triste, c’est condamnable mais y’a pas besoin de censurer le Net que je sache ? Par exemple dans le cas Dieudonné, s’il poste une vidéo tombant sous la loi Gayssot, il est possible de le faire condamner pécuniairement mais aussi à la retirer (en tant qu’objet du délit) – a posteriori, comme « dans la vraie vie », comme dans un État de droit…
Finalement j’en arrive à penser que tout cela aurait pu être évité si les humoristes s’étaient fendus de réponses intelligentes et fortes plus tôt comme Elie Semoun l’a fait sur Canal ce 11 janvier; Et je suis triste d’imaginer ce que ce précédent de censure a priori va faire à l’humour mais pas seulement…